Le 16 septembre, une étudiante kurde iranienne de 22 ans, Mahsa Amini, décédait sous les coups de la police des moeurs pour « port de vêtements inappropriés ». Cette mort a aussitôt déclenché un mouvement de révolte de femmes et de la jeunesse étudiante, voire de la prime jeunesse lycéenne de la capitale et des villes, notamment les villes kurdes du nord- ouest d’où était originaire Mahsa Amini.
Autour d’un slogan fédérateur, « Femme, vie, liberté » et du geste symbolique d’enlever les hidjabs pour découvrir les cheveux, les femmes sont, pour la première fois au Moyen-Orient, à l’avant-garde d’un mouvement sociétal. Les luttes des femmes « qu’elles soient consciemment anticapitalistes et anti-mondialisation ou dissimulées sous différentes formes de légitimation idéologique, sont des illustrations pratiques de la pertinence de la vision profonde de Marx : que nous sommes un ensemble de relations sociales et que c’est comme tel que nous faisons tout ce que nous faisons, y compris lutter pour la survie économique et les droits politiques et sociaux, écrit Martha E. Gimenez [1] Les luttes des femmes, soulignant l’importance de subordonner le profit à la satisfaction des besoins matériels et spirituels des gens, indiquent la voie à suivre pour atteindre les objectifs que toute alternative durable au capitalisme doit viser afin d’offrir aux gens la possibilité de vivre à la hauteur de leur potentiel. »
Depuis deux mois, le mouvement des femmes iraniennes ne faiblit pas. Il a même pris de l’ampleur, malgré la féroce répression émanant notamment du bras armé du pouvoir islamiste, les Pasdaran ou « Gardiens de la Révolution » [2].
« Mort au dictateur ! »
De Téhéran à Tabriz, les manifestations de rue n’ont pas tardé à ajouter un deuxième mot d’ordre, « Mort au dictateur ! ». Il ne s’agit donc pas seulement de liberté de se vêtir librement, mais de contestation du pouvoir des mollahs. Pour en finir avec ce régime théocratique, encore faudrait-il que le mouvement s’élargisse. C’est-à-dire qu’il soit rejoint, d’une part, par les deux générations précédentes, celle qui a fait la révolution de 1979 et celle qui a grandi avec elle; d’autre part, qu’un mouvement social mobilise tout le pays.
La multiplication des grèves dans l’énergie et la pétrochimie, secteurs- clés de l’économie iranienne, donne des signes en ce sens. Les sécheresses, les coupures de courant, la forte hausse du prix des céréales et l’appauvrissement généralisé de la population, sont des ferments possibles d’extension sociale du mouvement.
Toutefois, l’absence de direction politique fragilise les perspectives de débouché révolutionnaire. « Compte tenu de la situation catastrophique de l’économie, peut-on aller vers une jonction des luttes, se demande ainsi le sociologue Farhad Khosrokhavar, spécialiste de l’Iran contemporain. Jusqu’à présent, je ne la vois pas venir malheureusement, ce pour quoi j’éprouve une certaine amertume. Mais les mouvements sociaux peuvent nous réserver des surprises de la onzième heure. » [3]
Iran-Russie
La république islamique d’Iran est un régime de gérontes en perte totale de contact avec la société civile. Retranché dans la violence répressive avec des moyens colossaux, il est, à l’international, dans la même situation d’isolement que la Russie de Poutine depuis l’agression de l’Ukraine. L’Iran et la Russie se sont d’ailleurs rapprochés, le premier fournissant au second des drones pour combattre sur le terrain.
On ne peut prévoir l’issue de la situation en Iran, comme on ne peut prévoir l’issue de la guerre russe en Ukraine. Une chose est sûre : le soutien internationaliste au combat des femmes et du peuple iranien contre ses oppresseurs est aussi, en l’espèce, un soutien à la lutte du peuple ukrainien contre son agresseur impérialiste.
[1] Martha E. Gimenez, « Marx, Women and Capitalist Social Reproduction », Brill, 2022.
[2] A la date du 18 novembre, l’ONG Iran Human Rights (IHR) compte 381 tués dont 57 enfants, 16 000 arrestations et 5 condamnés à mort.
[3] Interview au Un hebdo n° 420, 26 octobre 2022.